de 1937 à 1954 |
Konrad Lorenz (Vienne 1903-1989). Docteur en médecine et en philosophie. Successivement professeur de psychologie animale et d'anatomie comparée, directeur de recherches sur la physiologie du comportement et directeur de l'Institut Max Planck à Seeviesen.
Les 3 Essais qui composent ce livre constituent la synthèse des recherches poursuivies par Lorenz dans le domaine de la biologie du comportement pour lesquelles le prix Nobel de médecine et physiologie lui a été décerné en 1973.
Tout en rendant compte de ses observations précises des comportements animaux, Lorenz fixe dans ces textes les méthodes de l'éthologie et donne à celle-ci son premier contenu de sciences positive. Il en expose les principales acquisitions, soulignant la continuité des sociétés animales et humaines et, sans se départir de sa rigueur scientifique, montrant les prolongements philosophiques de ses études sur l'instinct. (4ème de couverture)
Les 3 Essais qui composent ce livre constituent la synthèse des recherches poursuivies par Lorenz dans le domaine de la biologie du comportement pour lesquelles le prix Nobel de médecine et physiologie lui a été décerné en 1973.
Tout en rendant compte de ses observations précises des comportements animaux, Lorenz fixe dans ces textes les méthodes de l'éthologie et donne à celle-ci son premier contenu de sciences positive. Il en expose les principales acquisitions, soulignant la continuité des sociétés animales et humaines et, sans se départir de sa rigueur scientifique, montrant les prolongements philosophiques de ses études sur l'instinct. (4ème de couverture)
1- Sur la formation du concept d'instinct. (1937)
2- Le tout et la partie dans la société animale et humaine. (1950)
165-
Le présent essai a pour objet de montrer la nécessité absolue de prendre en
considération les types d’actions et de réactions spécifiques innées de
l’être humain dans les recherches intéressant les rapports entre les hommes.
(…)
Je prétends qu’on n’arrive à voir (…) la singularité
de l’être humain que si on laisse cette singularité se détacher sur
l’arrière-plan des qualités ancestrales
historiques que l’homme (…) partage avec les animaux supérieurs.
73- La prise en
considération exclusive des chaînes causales qui vont de la société à
l’individu expriment une méconnaissance de la nature des ensembles organisés
qui n’est pas moins paralysante et nuisible pour la recherche que l’erreur
symétrique des atomistes.
76- L’homme possède, en tant que membre d’une unité
d’ordre supérieur, des qualités qu’il tient de son appartenance à cette
totalité et qui ne sont compréhensibles que par référence à cette totalité.
78- Des chaînes causales univoques qui relient la
totalité formant système à ses parties voilà qui n’existe point : il
s’agit d’une fiction qui, dans le domaine de la psychologie de la perception de
la forme,(…) peut gravement gêner la recherche.
80- Les éléments d’un ensemble ne se laissent
comprendre que simultanément ou pas du tout !
81- Il n’est pas vrai que tous les systèmes
organiques cadrent intégralement avec la définition de la totalité entendue
comme un système de liaisons causales universellement réciproques. (168) Aucun
système organique ne s’accommode entièrement de la définition de la totalité
comme système de liaisons causales universelles et réciproques. Dans chacun de
ces systèmes sont en effet inclus des matériaux fixes, relativement
indépendants de la totalité. Ces matériaux entretiennent avec la totalité une
relation causale qui est plus ou moins à sens unique et qui n’est donc pas
bivalente.
97- Les séquences de mouvement spécifiques innées
reposent (…) sur une aptitude élémentaire du système nerveux central, nommément
sur la génération spontanée d’excitations à régulation automatique, phénomène
dont on ne connaissait jusqu’alors q’un exemple : celui des centres
générateurs d’excitations cardiaques.
98- Du fait que les (…) comportements à automatisme
endogène (…) ne se sont un peu éclairés que depuis quelques années et du fait
que ces résultats ont été toujours et partout atteints par des zoologistes et
non par des psychologues ou par des sociologues, leur connaissance n’a pas
encore pénétré dans le cercle de ces derniers. C’est seulement dans le domaine
de la psychologie de l’enfant que des chercheurs isolés commencent à s’attaquer
à l’étude de ces automatismes.
100- L’acte du mécanisme de déclenchement inné
permet à l’organisme de réagir d’une manière parfaitement sensée face à des
situations excitatrices déterminées, biologiquement essentielles, en l’absence
de toute expérience antécédente.
(…) le mécanisme de déclenchement inné n’a pour
répondant, ni l’ensemble, ni même un très grand nombre d’excitations qui se
présentent dans des situations importantes déterminées (…) ; au contraire
il ne fait en fait qu’extraire de cette multitude un nombre relativement faible
d’excitations pour en faire la « clef » de la réaction.
104- (…) le point essentiel pour la potentialité du
déclenchement est l’existence d’une relation indissociable entre deux éléments
(et autant que nous le sachions jusqu’ ici toujours deux éléments
seulement).
108- Six conditions sont requises pour parler de culture : des
comportements nouveaux doivent émerger, ils doivent être disséminés
dans le groupe à partir de l’inventeur, être standardisés, durer
et être diffusés par l’intermédiaire d’authentiques traditions.
109- (…) deux contraintes supplémentaires (…) : les comportements
pris en compte doivent être tournés vers d’autres activités que
celle de la subsistance et ils doivent être vraiment naturels.
113- Les deux caractéristiques fondamentales des
sociétés animales closes (tel celles des corbeaux, des oies grises et des
chiens de traîneaux) – à savoir leur repli sur elles-mêmes qui tend à
« exclure » ceux qui ne sont
pas membres de cette société, et deuxièmement la hiérarchie interne établie
entre les membre de la société - ces deux caractères ont pour base la
connaissance propre des animaux pris individuellement, qui est évidemment
acquise.
115- (…) participent fondamentalement à la structure
du comportement social humain toute une série de fonctions qui sont communément
considérées comme des activités de la morale rationnelle et responsable mais
qui, en réalité, sont très certainement à classer avec les comportements
sociaux innés des animaux supérieurs, comportements dont les analogies avec la
morale sont purement fonctionnelles.
127- ESTHETIQUE : La signification
précise de l’origine grecque de ce mot est « je ressens » et la
signification originelle du mot esthétique (ästhetisch) est « ce qui fait
qu’on ressent quelque chose » ; par la suite à travers un processus
qui a restreint son sens le mot a reçu la signification d’impression de valeur
positive.
La séparation conceptuelle des deux mots
« esthétique » et « éthique » est parfaitement
artificielle… ( !!!)
134- La réaction de protection sociale :
Toute âme forte connaît d’expérience personnelle le frisson qui passe en nous
aux moments ou une volonté belliqueuse d’intervention pour la défense de la
société se déclenche en nous. (…) Les démagogues de tous les temps ont fait
mauvais usage d’une réaction qui, du point de vue éthique, est
extraordinairement utile, en s’en servant pour dresser les peuples les uns
contre les autres au moyen d’un simulacre simple : un ennemi imaginaire et
une menace imaginaire.
135- Personne avant Schopenhauer n’avait remarqué
que, si l’homme se distingue des animaux vivant à l’état sauvage par toute une
série de signes distinctifs, il partage ces derniers avec les animaux
domestiques. Dans Métaphysique de l’amour sexuel, il déclare que
certains signes distinctifs de la race blanche ne sont en rien naturels mais
sont apparus au cours du processus de civilisation. Les cheveux blonds et les
yeux bleus constituent déjà une variété, presqu’une anomalie, une anomalie
semblable à celle que constituent les souris blanches ou, du moins, les chevaux
blancs. ( !!!)
140- Les réactions de l’homme à l’égard des produits
de « l’industrie figurative » ainsi que ses réactions aux formes
animales peuvent être exploitées comme des expériences qui recourraient à des
leurres, dans les mêmes conditions que nous l’avons fait pour d’autres
mécanismes de déclenchement. Exemple du dessin de mode : exagération
immodérée de la longueur des extrémités.
145- (…) l’animal domestique est très souvent
capable de résoudre avec perspicacité des problèmes devant lesquels le même
animal à l’état sauvage est habituellement en échec. (…)
Chez l’animal domestique, certains types d’action et
de réaction dont la rigidité est instinctive ont disparu alors que la forme non
domestique de la même espèce d’animal reste leur prisonnière comme d’une
profonde ornière. (…)
Ces « fautes de l’instinct » ne sont pas
intelligentes mais elles sont la porte ouverte par laquelle la grande
éducatrice qu’est l’expérience fait son entrée et accomplit tous les miracles
de l’intellect. (Whitmann)
152- (...) chez l’homme, l’aptitude à la recherche d’une adaptation au monde
extérieur subsiste jusqu’à l’âge sénile alors que chez tous les animaux, même
les plu intelligents et les plus curieux, elle ne représente qu’une courte phase
du développement individuel.
154- Hilzeimer a montré qu’un très grand nombre de
caractères spécifiques qui se rencontrent chez les formes les plus différentes
d’animaux domestiques, et qui distinguent ces dernières des formes sauvages
correspondantes, sont des caractères de jeunesse persistante.
156- La liberté d’action spécifiquement humaine a eu
très certainement pour condition préalable la réduction, la désagrégation des
types d’action et de réaction à structure fixe. (…) Tout nouvelle plasticité du comportement n’a été
acquise qu’au prix d’une nécessaire négation de certains degrés de sécurité.
Tout
développement organique supérieur, en particulier tout développement
intellectuel, est toujours un compromis spécifique entre ces deux aspects de
toutes les structures fixes inséparables et pourtant antinomiques. Sans
structures fixes, aucun système organique n’est capable d’accéder à un palier
d’intégration supérieure, mais en revanche il faut que les structures du
système existant soient rompues pour qu’un autre système d’un degré supérieur
d’intégration et d’harmonie soit créé.
157-
L’instance qui, chez l’homme, supplée les instincts disparus (…) est l’aptitude
à l’entente avec l’environnement propre (EGO) obtenue par la recherche
en forme de dialogue, par l’interrogation, la faculté de construire un rapport
(Einvernehmensetzen) entre soi et la réalité extérieure, notion qui est aussi
présente dans le mot raison (Vernunft).
(…)
chez les animaux intellectuellement les plus développés, le comportement à
l’égard du congénère est régi plus largement par les comportements innés et
d’une manière plus limitée par des instances intellectuelles supérieures que ne
l’est le comportement à l’égard de l’environnement propre extérieur. Le fait
qu’il en aille malheureusement tout pareillement chez l’homme s’étake
grossièrement dans le triste contraste qui existe entre ses incroyables succès
dans la domination du monde extérieur et son inaptitude atterrante à résoudre
les problèmes intra-spécifiques de l’humanité.
166-
(…) il n’est pas une seule action généreuse (ALTRUISME) de l’individu se
produisant régulièrement et de quelque importance pour le bonheur et le malheur
de la société à laquelle l’impératif catégorique soit seul à donner une
impulsion et une motivation. Au contraire dans la plupart des cas l’impulsion
active originelle est produite par la mise en jeu de schémas innés et de
pulsions héréditaires. On ne peut que très difficilement construire des
situations qui soient réellement neutres du point de vue du déclenchement des
réactions innées et qui, simultanément au cours de l’examen rationnel et
approfondi de la situation, nous incitent à une prise de position en faveur
d’une action de renoncement à soi.
3- Psychologie et Phylogénèse (1954)
INTUITION: pages 179 et 180
(…)
l’intuition est une activité particulière de la perception de la forme. Comme
pour tout autre processus de la perception, il y a, par l’intermédiaire de
mécanismes du système nerveux central qui sont inconscients et absolument
inaccessibles à l’introspection[1],
constitution d’un « résultat » à partir d’une masse de données des
sens isolés, et ce résultat est « tenu pour vrai » par le sujet
humain. Helmholtz considérait ces processus comme des déductions inconscientes.
Sans doute est-il absolument certain qu’il n’en est rien et que ces processus
reposent au contraire sur le fonctionnement de structures nerveuses centrales
beaucoup plus primitives ; il est tout aussi certain qu’ils se déroulent
de façon très mécanique et très peu réglée, et qu’ils montrent une incapacité
absolue d’éducation pour tous les modes de réaction transmis par l’hérédité.
Mais ils ont malgré tout quelque chose de commun avec les vraies inductions[2],
telles qu’elles se déroulent à un niveau psychique supérieur : d’une
pluralité d’éléments isolés reçus, on tire une « induction » unique
intégrant tous ces éléments. La direction prise par le processus de
connaissance dit intuitif va du particulier au général, tout comme celle
du processus inductif.. L’intuition n’est en aucune façon un
« miracle », comme beaucoup le pensent d’une façon avouée ou
inavouée, mais bien au contraire une activité physiologique parfaitement
naturelle de notre appareil perceptif. Ce dernier dégage, à partir d’éléments
concrets isolés, les structures « légiférantes[3] »
qui sont présentes en eux, et ceci par un processus qui, du point de vue
fonctionnel, est analogue à celui de l’induction. Comme l’induction,
l’intuition est donc ramenée à une base d’éléments isolés reçus. Toutes les
fois que les « prémisses » sont falsifiées, l’intuition, prétendue si
infaillible, indique des choses fausses d’une façon aussi opiniâtre et
incorrigible que toute autre perception : par exemple la perception de la
profondeur dans une expérience de stéréoscopie. La justesse du résultat obtenu
par l’intuition dépend de la justesse et de l’étendue des données isolées qui
sont à son origine, tout comme la justesse du résultat obtenu par l’induction.
[1] introspection Observation
méthodique, par le sujet lui-même, de ses états de conscience et de sa vie
intérieure, en psychologie.
[2] induction Généralisation d'une observation ou d'un
raisonnement établis à partir de cas singuliers.
_______________________________
179- L’intuition n’est en aucune façon un
« miracle », (…) mais bien au contraire une activité physiologique
parfaitement naturelle de notre appareil perceptif.
180-(…) l’activité nommée intuition, qui est
une activité de la perception de la forme, joue un rôle particulièrement
important. Les théoriciens du système morphologique ont toujours été des hommes
en possession, non seulement d’une vaste base d’induction[1]
constituée de faits isolés connus et disponibles au niveau conscient, mais
surtout d’un trésor immense de données isolées, non disponibles au niveau
conscient.
A titre d’expérience intellectuelle, Gadow (…) a
regroupé dans un tableau les ordres et sous-ordres des oiseaux d’après
30 caractères choisis en fonction de leur importance taxonomique. Ce système se
trouvait contenir une série d’écarts étonnants par rapport aux particularités
« visiblement exactes » de la systémique traditionnelle. 181- (…) Cet
échec est dû tout d’abord au fait que tout jugement de phylogénétique comparée
(…) repose sur l’exploitation d’un nombre de caractères beaucoup plus élevé. (…
D’autre part,) toute classification définissant à l’avance les traits
distinctifs à utiliser se condamne par là même à être une grave source
d’erreur…
182- (… Exemple :) aucune personne raisonnable
n’aura l’idée d’exclure de la classe des oiseaux un perroquet totalement privé
de plumes…
203- (…) le plus souvent, le métis n’occupe
pas quant à son comportement une situation moyenne entre les espèces de ses
parents ; au contraire il correspond à un type plus ancien, réalisé chez
d’autres membres du groupe eux-mêmes plus anciens. ( !!!)
209- Les animaux qui, dans leur vie quotidienne,
sont contraints de maîtriser les structures spatiales les plus complexes (…)
sont les habitants des arbres, et, parmi ceux-ci, plus spécialement ceux qui ne
grimpent pas avec des griffes (écureuil) ou des ventouses (rainettes), mais en
saisissant la branche avec « des mains qui prennent » à la façon
d’une tenaille.
210- (…) tous ceux qui sautent loin et qui
saisissent ensuite le but avec la main ont des yeux dirigés vers l’avant.
213- Le langage nous renforce dans l’idée que
toute pensée est spatiale à son origine. Porzig (1950) a écrit dans son livre
fort instructif intitulé le Miracle de la langue : « La langue
traduit tous les rapports abstraits en données spatiales. Et ce phénomène ne
caractérise pas une langue isolée ou un groupe de langues, mais toutes les
langues sans exception. Cette particularité fait partie des traits immuables
(invariants) du langage humain. Ainsi les rapports temporels sont exprimés
d’une façon spatiale : avant ou après Noël, dans un laps de temps. Pour
les processus psychologiques nous ne parlons pas seulement d’intérieur et
d’extérieur, nous disons aussi au-dessus ou au-dessous du seuil de la
conscience, nous parlons de subconscient de premier plan ou d’arrière-plan, de
profondeur de l’âme ou de niveaux psychologiques. D’une façon générale,
l’espace sert de modèle pour tous les rapports abstraits. On dira à côté de son
travail il donne des cours ; L’amour fut plus grand que
l’amour-propre ; derrière cette mesure, il y a l’intention de … (…) Ce
phénomène tire son importance du fait qu’il est très généralement répandu et de
ce qu’il joue un grand rôle dans l’histoire du langage. On peut le retrouver,
non seulement dans l’usage des prépositions qui, à l’origine, désignent tout ce
qui est spatial, mais aussi dans des mots qui expriment des activités ou des
qualités. » Je veux seulement ajouter à ces développements du linguiste
que ce phénomène est d’une importance fondamentale, non seulement pour
l’histoire du langage, mais encore bien plus pour l’évolution phylogénétique de
la pensée tout court, et donc aussi pour la pensée antérieure au langage ou se
passant du langage.
214- (…) un être possédant des adaptations
morphologiques nettement spécialisées n’aurait jamais pu donner
l’homme.
219- (…) la recherche curieuse cesse dès que
l’animal est sérieusement affamé ; dans ce cas, il se tourne aussitôt vers
une source de nourriture déjà connue de lui. (...) en cas de faim plus modérée,
l’appétence à l’inconnu domine par rapport à celle manifestée vis-à-vis d’une
nourriture de meilleur qualité.
(…) le processus d’apprentissage exploratoire
est indépendant du besoin de l’instant, ou, en d’autres termes, du motif
d’appétence.
222- Lorsque je vois un de ces jeunes animaux jouer
avec des blocs de bois ou emboîter des caisses les unes sur les autres, je me
demande si ces êtres n’ont pas eu, autrefois, un niveau intellectuel bien
supérieur à leur niveau actuel et si, au cours de leur spécialisation, ils
n’ont pas perdu des capacités qui ne se manifestent plus que dans le jeu du
jeune animal.
(…) ce n’est pas la capacité d’apprendre en
tant que telle qui est éteinte mais seulement la faculté d’utiliser
positivement cette capacité pour des choses inconnues. Le vieux corbeau, par
exemple, est tout à fait capable d’apprendre la dangerosité d’une situation
nouvelle pour lui à la suite d’une expérience fâcheuse. Mais, désormais, cet
apprentissage a lieu uniquement sous la pression immédiate d’une situation
biologique particulière bien précise.
223- Qu’est-ce qui manque à l’animal le plus proche
de l’homme qui fait qu’il n’est pas devenu un homme ?
1- L’influence réciproque entre l’agir et le
connaître, entre la praxis et la gnosis, qui permet une action constamment
réglée par le succès, (…) manque qui prive en même temps le singe (…) du
langage ;
2- (…) le comportement de curiosité qui chez
l’homme, se maintient jusqu’à la limite de la vieillesse.
228- L’homme doit à sa néoténie[2]
partielle, et cela par l’intermédiaire de son autodomestication, deux
particularités constitutives : en premier lieu le maintien pendant pratiquement
toute son existence, de sa curiosité et de son ouverture au monde mais en
second lieu sa déspécialisation qui le marque ne serait-ce que corporellement
et en fait finalement un être curieux non spécialisé.
229- Sans aucun doute les ancêtres pongides[3]
de l’homme étaient aussi attachés à des espaces vitaux déterminés et limités
que tous les anthropopithèques actuels.
Il est également hors de doute qu’une réduction de
nombreux mécanismes innés de déclenchement a été nécessaire pour
permettre que l’homme devienne, en un laps de temps si court d’un point de vue
géologique, le plus (…apte à) subsister aussi bien sur les glaces de l’Arctique
que dans la forêt équatoriale. De même la différence des individus en fonction
de leur situation, différence qui résulte du champ de variation des défauts
d’instinct et n’existe chez aucune espèce sauvage, est extrêmement importante.
Elle est la condition immédiate de cette division du travail très développée
qui est de son coté la condition primordiale pour la naissance de toute culture
humaine. (…) la liberté constitutive de l’activité humaine est la
conséquence directe de cette réduction du comportement instinctif due à la
domestication.
230- La diminution des instincts sociaux et des
inhibitions est extrêmement utile dans la bataille de la concurrence moderne
et c’est ainsi que des êtres peu sociaux ou même asociaux ont de loin beaucoup
plus de succès que les valeureux (vertueux), aux frais desquels en définitive
ils vivent. Les éléments sujets à ces défauts pénètrent les peuples, les états
et les sphères culturelles exactement de la même façon, et exactement pour les
mêmes raisons, que les cellules cancéreuses pénètrent les corps par une
infiltration proliférante. Et, comme celles-ci, ils peuvent anéantir l’organisme
qui les accueille et, par-là, s’anéantir eux-mêmes. Je suis persuadé que
l’anéantissement régulier des cultures constaté par Spengler[4]
est dû en grande partie à ce processus. (…)
(…) il est difficile de conserver le moindre
optimise à l’égard de l’évolution à venir de l’humanité quand on connaît tous
ces dangers qui la menace
[2] Biol. Coexistence, chez un
animal, de caractères larvaires et de l'aptitude à se reproduire.
[4] Philosophe et historien
allemand (1880-1936), auteur du Déclin de l’Occident (1918-1922), qui
compare les civilisations à des êtres vivants.